Tout ce qui dore au soleil se mange

Publié le par pascal-querou-auteur

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Beijing, Wangfujing. Photo. P.QUEROU

 

 

Cet été là, comme tous les autres d'ailleurs, une chaleur étouffante écrasait Pékin déjà enrobée d'un épais nuage de déjections industrieuses. Dans les rues, une fine pellicule de sueur couvrait tout mon corps en permanence, telle une combinaison, et il me semblait être le seul dans cet état, car aucun des nombreux passants que je croisais, ne paraissait éprouver cette gêne...

A douze mois des Jeux Olympiques, la ville se préparait à recevoir en grande pompe la planète entière. Elle donnait l'impression aux visiteurs hypnotisés qu'elle voulait rompre définitivement avec son passé, pour se propulser directement dans un futur digne de "Blade Runner". Se débarrassant sans états d'âme de ses traditionnels Hutong décrépis et autres vieilleries décaties, ainsi que de ses habitants devenus trop sales, qu'elle remplaçait par de gigantesques buildings assortis de cols blancs, bâtis en des temps records, et ériger sans souffle. Et ses légendaires bicyclettes qui inondaient jadis ses larges avenues, avaient de plus en plus de mal à exister au milieu des millions d'automobiles fumantes qu'elle supportait maintenant chaque jour.

Mais dès le soleil levant, on continuait à s'adonner au Taï Chi dans les moindres squares. Et on venait toujours autant se bousculer des quatre coin du pays, dans la Cité Interdite. Et se faire photographier devant la place Tienanmen qui restait dans l'esprit des européens un sanctuaire de la liberté bafouée, alors qu'elle ne demeurait ici, dans l'inconscient collectif des jeunes chinois, que la place du Mausolée du vieux  Mao qu'aucun massacre n'avait jamais entaché...

Des usines entières avaient été détruites, leurs ouvriers avec, sans compensation aucune... notion inconnue dans cette vaste contrée. Et d'impressionnantes armées de jardiniers débauchés dans leurs miséreuses campagnes pour la circonstance, et payés quelques yuan, transformaient, l'espace de quelques nuits, de disgracieuses friches industrielles, en d'attrayants parcs, où s'alignaient, bucoliques, de jolis parterres de fleurs colorées, bordés d'arbres et d'arbustes...

Et malgré ce système brutale et inhumain que tous les grands démocrates de ce monde côtoyaient sans scrupule, mais que les plus audacieux observateurs qualifiaient de dictature, Les pékinois affichaient un enthousiasme sans fin. Et ne cachaient pas leur fierté face aux étrangers, d'appartenir à la plus grande nation du monde...

De l'aveu de Li, notre toute jeune interprète, trop de choses déraillaient, mais elle avait la certitude qu'on ne pouvait pas gérer une population d'un milliard et plusieurs centaines de millions d'habitants, comme une peuplade privilégiée d'à peine soixante millions d'âmes...

Et puis il fallait se rendre à l'évidence, l'Empire du Milieu et ses milliards de bras au rabais que presque plus personne n'imaginait humains, faisaient la fortune des grandes firmes. Qui inondaient nos supermarchés et nos boutiques préférées, de superflu. Pour notre plus grand bonheur. Pendant que nos gouvernements s'endettaient pour assurer notre bien être élémentaire de consommateurs...

Sur l'artère commerçante de Wangfujing, aménagée en immense zone piétonne, les flâneurs, des jeunes pour la plupart, zigzaguaient d'une vitrine à l'autre. ils semblaient avoir faim de tout et riaient souvent, comme si le monde leurs appartenaient. Li, marchait à mes côtés. Et je me sentais complètement absorbé par toute cette profusion. qui, sans me fasciner, me transportait vers une irrésistible sensation de légèreté.

Pourtant mon cerveau avait envie d'être grave, et de se révolter contre ce que les spécialistes appelaient pudiquement le libéralisme, et qui s'était glissé jusque dans les entrailles des héritiers du Grand Timonier. Pour en surgir tel un alien, en hypercapitalisme triomphant. Mais en voyant cette échoppe qui vendait ces drôles de bestioles grillées, Li se mit à rire spontanément, et dit :

"En Chine, tout ce qui dore au soleil, se mange".

J'esquissai un sourire. Et ne pus m'empêcher de penser qu'un jour viendrait, où mes enfants accompagnés de leurs rejetons se promèneraient tranquillement sur les Champs-Elysées. Ils s'arrêteraient un moment sur une terrasse d'un genre nouveau. Pour y déguster une délicieuse brochette d'hippocampes, accompagnée d'une boisson gazeuse aux arômes artificiels de  thé vert ou de jasmin. Puis repartiraient pour aller dans une salle de cinéma où serait projetée en version originale, la toute dernière superproduction chinoise...

 

 

 

 

 

 

Publié dans Histoires de photo

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M
<br /> <br /> Bonjour Pascal,<br /> <br /> <br /> Décidément, on se fait écho !<br /> <br /> <br /> ... p:296 des Microbes de Dieu : "<br /> <br /> <br /> <br />
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P
<br /> <br /> Hâte d'avoir le livre entre les mains.<br /> <br /> <br /> <br />